Sanou Koura : À l’assaut de la « mine urbaine »

Portraits

Sanou Koura, c’est l’histoire d’une prise de conscience, d’un marché à prendre. C’est aussi l’histoire de deux collègues devenus amis, qui se lancent dans leur troisième aventure entrepreneuriale commune. Leur filon ? La réindustrialisation, avec une idée surprenante : valoriser la plus grande des mines de métaux européenne, la « mine urbaine ». Michel Trabuc est co-fondateur de Sanou Koura. Il illustre pour l’occasion l’expression « richesse du territoire ».

Il vous aura fallu attendre 2022 pour obtenir l’autorisation, par la Préfecture du Grand Est, d’ouvrir votre usine, mais votre projet se développe depuis bien plus longtemps.

En effet, depuis 2014, avec mon collègue Christian Thomas, nous travaillons avec notre société TND à la mise au point, avec de grands laboratoires, d’un procédé de valorisation des métaux. Il s’agit d’un projet mûri à l’aide de nos expériences.
Nous avons eu, dans les Ardennes, un excellent accueil ! Ardennes Développement nous soutient, notamment en matière de réseau et de contacts.
Nous avons aussi fait partie en 2022, des premiers lauréats de l’appel à projets du Plan France 2030 « Métaux Critiques ».

Ce projet est mû par des constats et un déclic. Quels sont-ils ?

Tout d’abord, la constatation que la réindustrialisation du Grand Est est nécessaire. Ensuite, pendant des années, tout ce qui était « sale » et faisait du bruit a eu tendance à être refusé sur les territoires. Résultat, nous sommes aujourd’hui dépendant d’autres espaces économiques pour nous fournir en matière d’industrie.
Puis, nous avons une véritable « mine urbaine » de déchets de métaux à portée de main, dans nos poubelles : composants électroniques issus de vieux téléphones, appareils électroniques, etc. Pour l’instant, ces déchets sont soit renvoyés en Asie, soit ils finissent enterrés en Afrique.

Quel sens cela a-t-il de faire venir du minerai de l’autre bout de la planète, pour le traiter en France ?

Nous avons les poubelles les plus riches de la planète, autant les exploiter !
Quant au déclic, Christian Thomas et moi travaillions dans une des dernières industries métallurgiques de France. Il n’y en a plus beaucoup, et en Allemagne la dernière petite usine productrice de tantale a été rachetée par une entreprise japonaise. Résultat, le marché est libre.
Afin d’accomplir notre transition industrielle, nous avons besoin de cuivre, de tantale justement, de cobalt aussi et de palladium… Et nous n’avons pas de mines en Europe. Il s’agit donc d’aller nous servir dans nos fameux déchets. Sanou Koura a pour but de devenir un gros producteur de ces éléments, par la revalorisation. Pour information, notre procédé ne dégradant pas les métaux, ils restent alignés sur leur cours en bourse pour le prix de revente.

En parlant du coût des métaux, et de marché, vous êtes aussi en cours de financement. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Nous sommes en effet à la recherche d’investisseurs, même si nous sommes conscients qu’il y aura forcément une part de dette, nous devons rassembler un capital total de 50 millions d’euros, à l’orée de septembre 2023.
Certains ont d’ailleurs déjà manifesté leur intérêt, ce qui s’explique par l’attractivité de notre projet. Le marché est en attente de métaux recyclés. Notamment la bijouterie, pour pouvoir toucher leurs consommateurs avec des certifications plus humaines. Mais pas seulement. Si l’on pense au cobalt, son extraction induit quasi systématiquement un impact social et humain délétère. Avoir une possibilité d’achat en France constitue donc une véritable avancée. Nous espérons ainsi devenir leader du marché européen des métaux rares.

Sanou Koura ne se résume pas uniquement à un projet industriel. Il inclut également de la Green Tech, et sur ce point vous êtes allé jusqu’au bout de votre raisonnement.

S’installer dans les Ardennes était un choix en phase avec notre volonté de réindustrialisation. Cependant, nous avons pris des mesures pour préserver les terres agricoles lors de notre implantation, en veillant à ne pas les occuper.
Ensuite, nous avons pensé notre usine à énergie positive, c’est-à-dire qu’elle ne consommera pas d’énergie et fonctionnera en autonomie. Une fois les métaux récupérés, ils seront enfournés pour les débarrasser des restes de plastiques. La gazéification brûlera et turbinera pour produire en fin de course de l’électricité. Dans la même logique d’autonomie, notre circuit d’eau sera fermé. L’idée est d’utiliser le minimum de ressources possible. Une optimisation des procédés sera faite en mettant en place un système de traitement des eaux qui permettra d’avoir de l’eau assez pure pour l’usage industriel, ou en réduisant les rejets de dioxyde de carbone dans l’air. Une attention particulière sera ainsi portée à l’environnement.
Pour faire de la Green Tech, appliquer les normes en cours ne suffit pas. Il faut voir dix ans plus loin, et c’est ce que nous ferons.

Pour en savoir plus : www.sanoukoura.com

Article du magazine « Innovation dans l’industrie », Or Norme, 2023

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